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Bois énergie renouvelable ou pas : débat autour d’une ressource controversée

Bois énergie renouvelable ou pas : débat autour d’une ressource controversée

Bois énergie renouvelable ou pas : débat autour d’une ressource controversée

Le bois, une ressource de bon sens… ou une fausse bonne idée ?

Dans l’imaginaire collectif, chauffer sa maison au bois évoque un mode de vie simple, rustique et respectueux de la nature. C’est local, c’est renouvelable, ça sent bon la forêt… mais est-ce vraiment si écologique ? Aujourd’hui, près de 7 millions de foyers en France brûlent du bois pour se chauffer. Pourtant, cette ressource que l’on croit durable fait l’objet de critiques grandissantes. Entre bilans carbone contestés, impact sur la qualité de l’air et mise sous pression des forêts, le bois énergie divise.

Alors, le bois est-il vraiment une énergie renouvelable ? Ou faut-il remettre en question son statut privilégié dans nos politiques énergétiques ? Plongée dans un débat aussi brûlant que le combustible qu’il soulève.

Pourquoi le bois est-il considéré comme renouvelable ?

Sur le papier, l’argument semble implacable : les arbres absorbent du CO₂ en poussant, et ce même CO₂ est libéré lors de leur combustion. Le cycle est donc neutre sur le plan climatique. C’est cette logique qui a permis au bois énergie d’être classé comme « énergie renouvelable » par l’Union Européenne.

Ajoutons à cela que le bois peut être produit localement, qu’il valorise des sous-produits de l’industrie forestière (comme les copeaux ou les sciures) et qu’il permet de limiter la dépendance aux énergies fossiles. Autrement dit, produire de la chaleur via une ressource forestière gérée durablement semble, dans l’absolu, aller dans le sens de la transition énergétique.

Mais voilà : entre le principe théorique et la réalité du terrain, il y a un gouffre que la science climatologique s’efforce de combler – et les résultats ne sont pas rassurants.

Les failles du raisonnement “carbone neutre”

Brûler du bois libère immédiatement du carbone dans l’atmosphère. Replanter un arbre pour compenser ne suffit pas : il faudra plusieurs décennies, parfois un siècle, pour que le jeune arbre ait capté une quantité équivalente de CO₂. Or, nous n’avons pas ce temps devant nous face à l’urgence climatique. Le GIEC rappelle qu’il faut drastiquement réduire nos émissions d’ici 2030 — pas espérer un retour à équilibre en 2100.

Une étude du Massachusetts Institute of Technology a démontré que dans certaines conditions, l’usage massif du bois énergie peut entraîner une augmentation des émissions de gaz à effet de serre pendant plusieurs décennies, par rapport au fioul ou au gaz naturel. Le paradoxe : au nom de la durabilité, on pourrait aggraver le changement climatique à court et moyen terme.

Et ceci sans compter les pertes d’efficacité énergétique. Brûler du bois n’offre pas le rendement d’une pompe à chaleur ou d’un chauffage urbain performant. Un mauvais foyer, des bûches humides, et c’est une combustion incomplète, avec émissions accrue de particules fines et de polluants atmosphériques.

Pression sur les forêts et industrialisation du bois énergie

Tant que le bois énergie provient de rebuts ou de sous-produits (sciures issues des scieries, bois morts, éclaircies), l’impact écologique reste limité. Mais la demande croissante pousse à industrialiser la filière. On coupe désormais des arbres entiers, parfois jeunes, pour les transformer en granulés ou en bûches compressées.

En France, la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) prévoit d’augmenter la mobilisation des ressources forestières. Dans les scénarios les plus optimistes, cette augmentation n’irait pas sans effets négatifs :

En Europe de l’Est mais aussi aux États-Unis, des forêts naturelles sont déjà mises à sac pour alimenter le marché européen du granulé de bois, notamment pour les centrales biomasse anglaises — un comble pour une énergie dite « propre ».

La biomasse solide, grande absente du débat sur la qualité de l’air

On parle souvent d’émissions de CO₂, mais beaucoup trop peu de polluants atmosphériques. Pourtant, la combustion du bois est une source majeure de particules fines, ces micro-débris en suspension dans l’air qui pénètrent profondément dans nos poumons. En France, le chauffage au bois domestique représente à lui seul plus de 40 % des émissions de PM2.5 en hiver, alors qu’il ne fournit que 6 % de l’énergie finale.

C’est un paradoxe sanitaire. De nombreuses communes rurales équipées de poêles ou d’installations vétustes voient leur air hivernal atteindre des niveaux de pollution similaires à ceux observés en ville. À Grenoble, Chambéry ou Annecy, les pics de pollution en hiver ne proviennent pas des voitures, mais du bois qui crépite dans les cheminées.

Ce constat appelle à la vigilance. Réduire notre exposition aux polluants ne concerne pas uniquement l’industrie ou les transports, mais bien aussi nos choix de chauffage domestique. La montée en puissance de filières de bois énergie performantes et bien équipées est un impératif, mais elle ne saurait à elle seule résoudre la question.

Une énergie à encadrer strictement, pas à bannir

Il ne s’agit pas de jeter le bois avec les cendres. Utilisé de manière raisonnée, dans des appareils performants et via une gestion durable des forêts, le bois énergie peut jouer un rôle dans le mix thermique, notamment en zone rurale. Mais il faut l’envisager comme une solution transitoire, locale, et limitée en volume.

Quelques pistes pour repenser l’usage du bois énergie :

Rappelons-le : les énergies renouvelables ne sont pas par essence “vertueuses”. C’est leur mise en œuvre, leur cadre de régulation et leur sobriété qui déterminent leur durabilité réelle.

Un débat exemplaire des dilemmes de la transition écologique

Le cas du bois énergie incarne à merveille les tensions de la transition écologique : entre urgence climatique et sauvegarde des écosystèmes, entre décarbonation rapide et arbitrages à long terme, entre sobriété et solutions technologiques. Il nous oblige à dépasser les slogans simplistes pour entrer dans la complexité.

Faut-il continuer à subventionner une énergie renouvelable si ses émissions sont comparables, voire supérieures, aux fossiles à court terme ? Est-il cohérent de protéger la forêt comme puits de carbone tout en la considérant comme une mine à ciel ouvert pour notre chauffage ? Peut-on parler d’économie circulaire si les copeaux que l’on valorise proviennent de forêts industrielles ou dégradées ?

Ces débats, inconfortables mais nécessaires, doivent sortir du cercle des experts pour entrer dans la sphère citoyenne. Le bois est peut-être une ressource locale et naturelle, mais cela ne suffit pas à en faire une énergie soutenable sur le long terme. Plutôt que de s’en remettre à des idées reçues, osons examiner les chiffres, interroger les pratiques, et surtout repenser nos besoins énergétiques à la racine.

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