Pourquoi établir un bilan carbone d’entreprise ?
Le dérèglement climatique n’est plus une question de croyance, c’est une réalité mesurable. Et parmi les leviers concrets pour y faire face, le bilan carbone s’impose comme un outil incontournable pour toute organisation qui se veut responsable. Pourquoi ? Parce qu’on ne peut pas réduire ce qu’on ne mesure pas.
En France, certaines entreprises ont déjà l’obligation légale de réaliser un « Bilan d’Émissions de Gaz à Effet de Serre » (BEGES), en particulier les structures de plus de 500 salariés. Mais même lorsqu’il n’est pas obligatoire, le bilan carbone est un excellent point de départ pour comprendre l’impact réel de ses activités sur le climat et agir en conséquence.
En bref : mesurer ses émissions, c’est se donner les moyens de piloter une véritable stratégie de transition écologique. C’est aussi répondre aux attentes croissantes des clients, partenaires, investisseurs et salarié·es qui demandent plus de transparence. Alors, comment s’y prendre ?
Ce qu’est (et n’est pas) un bilan carbone
Un bilan carbone est une photographie des émissions de gaz à effet de serre (GES) générées, directement ou indirectement, par une entreprise sur une période donnée (souvent un an). Il s’appuie sur la méthodologie développée par l’ADEME, qui distingue trois périmètres d’émissions, appelés « scopes » :
- Scope 1 : les émissions directes liées aux activités, comme la combustion de carburants dans les véhicules d’entreprise ou les chaudières.
- Scope 2 : les émissions liées à l’énergie achetée (électricité, chaleur, vapeur).
- Scope 3 : les émissions indirectes, souvent les plus importantes et les plus complexes à calculer : déplacements domicile-travail des salarié·es, transport des marchandises, achats, usage des produits vendus, etc.
Un bilan carbone sérieux ne se contente pas des scopes 1 et 2. Il doit inclure le scope 3 pour refléter l’impact réel de l’activité de l’entreprise. C’est souvent dans ce périmètre que se cache l’essentiel des émissions. Par exemple, pour une entreprise numérique, les serveurs hébergés par des prestataires ou les terminaux des utilisateurs sont des postes d’impacts majeurs.
Comment réaliser un bilan carbone ?
Trois options coexistent :
- Faire appel à un prestataire spécialisé (bureau d’études ou cabinet de conseil).
- Le réaliser en interne, en formant des salarié·es à la méthode Bilan Carbone® de l’ADEME ou en utilisant des outils numériques comme ceux proposés par Sami, Carbo, Greenly ou Sweep.
- Adopter une démarche dite « simplifiée » pour les petites structures (TPE ou associations) en utilisant des modèles de tableaux et un nombre limité d’indicateurs.
Quelle que soit la méthode, l’approche repose sur trois étapes clés :
- Collecte des données : factures d’énergie, kilométrage des véhicules, volume des achats, durée de vie des équipements, etc.
- Application de facteurs d’émission : par exemple, 1 kWh d’électricité consommée en France émet environ 0,06 kg de CO₂e (mais ça dépend du mix énergétique).
- Analyse des résultats : pour identifier les postes les plus émetteurs — souvent les déplacements professionnels, l’alimentation, les matériaux ou les services numériques.
L’important n’est pas tant de produire un chiffre « parfait » que de documenter une première base fiable, à partir de laquelle progresser chaque année. Un bilan carbone n’est pas une fin en soi, c’est un outil de pilotage.
Des exemples concrets d’entreprises engagées
Pour mieux comprendre, prenons quelques exemples :
- La coopérative Enercoop a intégré les émissions de son scope 3 dès son premier bilan, y compris celles liées à la fabrication des panneaux solaires chez ses producteurs.
- La PME textile Loom a identifié que l’essentiel de son impact provenait des matières premières et du transport : elle a donc relocalisé une grande partie de sa chaîne de valeur en Europe.
- Le cabinet d’étude BL évolution a mis à disposition un simulateur de bilan carbone gratuit pour aider les petites structures à évaluer leur impact sans expertise spécifique.
Ce qui rassemble ces exemples, c’est une volonté claire d’aligner stratégie d’entreprise et impératifs climatiques. Pas de greenwashing : de l’action, mesurable.
Réduire ses émissions : par où commencer ?
Un bon bilan carbone est inutile s’il n’est pas suivi d’un plan d’action ambitieux. Et bonne nouvelle : une grande partie des leviers de réduction sont à portée de main. Voici les postes les plus fréquents sur lesquels agir :
- Transports : réduire les déplacements aériens, privilégier le train, promouvoir le télétravail et développer l’usage du vélo ou des transports en commun pour les trajets domicile-travail.
- Numérique : limiter la taille des pièces jointes, héberger ses données chez un fournisseur utilisant des énergies renouvelables, prolonger la durée de vie des ordinateurs.
- Achats : privilégier les fournisseurs locaux et responsables, acheter d’occasion, mutualiser certains consommables (mobilier, équipements).
- Énergie : souscrire à une offre d’électricité 100 % renouvelable, réduire la consommation en optimisant l’éclairage ou le chauffage.
- Alimentation : végétaliser les repas lors des événements, réduire le gaspillage, choisir des traiteurs bio et locaux.
Le piège serait de chercher à tout faire d’un coup. Mieux vaut se fixer des objectifs progressifs, assortis d’échéances claires, et impliquer les salarié·es dans la démarche. Sous-estimer l’effet « boîte mail et café filtre » (des petits gestes faciles) est une erreur. S’ils sont seuls, ils ne suffisent pas, mais ils préparent un terrain culturel favorable à de plus grands basculements.
Méfiance sur la compensation carbone
Nombre d’entreprises, une fois leur bilan complété, cherchent à compenser ce qu’elles ne peuvent (ou ne veulent) pas encore réduire. Et là, danger. Planter des arbres en Amérique latine ou financer des cuisinières « propres » en Afrique ne suffit pas à effacer notre responsabilité ici et maintenant.
Il est possible de soutenir des projets de compensation sérieusement encadrés, mais cela ne saurait être qu’un complément – jamais une excuse pour ne pas engager une vraie réduction. L’idée n’est pas d’acheter un permis de polluer, mais de s’inscrire dans des actions durables de solidarité climatique, en toute transparence.
Et si on allait plus loin ? Vers un pilotage écologique de l’entreprise
Faire son bilan carbone, c’est bien. Mais transformer l’entreprise pour qu’elle ne soit plus dépendante de l’énergie fossile et respecte les limites planétaires, c’est mieux. Cela suppose de réinterroger les objectifs économiques, les modèles de croissance, les biais d’organisation.
Et si, par exemple, on calait les plannings de production sur la saisonnalité des ressources ? Si on fixait des objectifs chiffrés de réduction des impacts environnementaux sur 5 ans ? Si les indicateurs de performance incluaient des critères écologiques et sociaux, au même niveau que le chiffre d’affaires ?
C’est cette transition systémique que certaines structures pionnières explorent : entreprises à mission, coopératives, collectifs engagés dans le mouvement des entreprises à impact ou dans la comptabilité environnementale. Le bilan carbone n’est, dans ce chemin, qu’une étape parmi d’autres.
La transformation à venir exigera du courage, de la clarté… et un peu de méthode. Chaque tonne de CO₂ que nous parvenons à éviter aujourd’hui est une injection de futur que nous garantissons à la génération suivante.
Et vous, avez-vous déjà évalué vos émissions ? Peut-être est-ce le bon moment pour poser les bases d’un véritable plan d’action climat dans votre structure. Le bilan carbone n’est pas une contrainte administrative. C’est une boussole.








