La forêt, une richesse menacée et convoitée
Les forêts couvrent près d’un tiers des terres émergées de notre planète. Elles sont les poumons de la Terre, des refuges de biodiversité, des régulatrices du climat, et des lieux de vie pour des millions d’espèces, humaines comprises. Pourtant — et ce n’est pas une surprise — cette richesse est aujourd’hui sous pression. Déforestation, monoculture industrielle, changement climatique : les forêts s’épuisent sous nos yeux, dans l’indifférence générale ou sous couvert de « développement ». Il est temps de repenser entièrement notre rapport à ces écosystèmes vitaux, au prisme de la gestion durable.
Qu’entend-on par « gestion durable des forêts » ? Tout simplement, une gestion qui permet de répondre aux besoins présents — en bois, en emplois, en espaces — sans compromettre la capacité des générations futures à en faire autant.
Les piliers de la gestion forestière durable
Une gestion forestière durable repose sur trois piliers indissociables :
- L’équilibre écologique : préserver la biodiversité, maintenir les sols forestiers vivants, favoriser le renouvellement naturel des espèces végétales et animales.
- La viabilité économique : permettre une exploitation raisonnée des ressources forestières, créant des emplois et générant des revenus locaux sans surexploiter.
- L’équité sociale : garantir l’accès et le droit d’usage des communautés locales, respecter les savoirs traditionnels et assurer un partage juste des bénéfices.
La gestion durable, ce n’est donc pas l’abandon de l’exploitation forestière, mais sa transformation. C’est la fin de la logique extractiviste court-termiste, et l’entrée dans une approche circulaire, régénérative et résiliente.
Un modèle en crise : l’exploitation intensive
En France comme ailleurs, le modèle dominant repose encore très largement sur une logique industrielle. On plante massivement des essences à croissance rapide (souvent exotiques), on rase à blanc avec des machines lourdes, puis on reboise mécaniquement. Le problème ? Ce type d’exploitation appauvrit le sol, détruit les habitats, favorise les incendies et rend les forêts beaucoup plus vulnérables aux tempêtes et aux épidémies.
Un exemple marquant est celui des plantations de pins maritimes dans les Landes. Cette monoculture subventionnée, bien que rentable à court terme pour l’industrie du bois, est une vraie bombe écologique en cas de sécheresse prolongée ou d’attaque parasitaire. Elle illustre parfaitement la limite du modèle productiviste : une rentabilité immédiate au détriment du vivant.
Des forêts vivantes, gérées autrement
Face à ces dérives, des initiatives émergent pour montrer qu’un autre modèle est possible. En France, certaines forêts communales adoptent des pratiques sylvicoles proches de la nature : les coupes rases sont bannies, les peuplements sont mélangés, on privilégie le renouvellement naturel plutôt que la plantation. Ces pratiques, bien que plus lentes à mettre en œuvre, préservent l’écosystème et garantissent des ressources pérennes.
Un exemple inspirant : la forêt de Sainte-Baume (Var), classée forêt de protection, où l’Office National des Forêts (ONF) met en œuvre une gestion douce. Les interventions humaines y sont limitées, et le bois est prélevé de manière sélective, en respectant les rythmes des arbres et de leurs habitants. Résultat : une biodiversité florissante et des sols en bon état, malgré un contexte de forte pression touristique.
À l’échelle internationale, des modèles comme celui du Costa Rica, qui a reboisé 30 % de son territoire en 30 ans via des politiques volontaristes de paiements pour services écosystémiques, prouvent que la transition est possible. Les populations locales ont été impliquées, rémunérées, et les bénéfices sont tangibles : plus de biodiversité, plus de tourisme durable, plus de résilience.
Réconcilier besoins humains et protection des écosystèmes
Certains diraient : « Préserver les forêts, c’est bien, mais on a besoin de bois ! » Et ils ont raison. Mais la question n’est pas de choisir entre utiliser ou préserver, c’est d’apprendre à faire autrement. La filière bois peut s’adapter : en privilégiant les circuits courts, en valorisant le bois local, en diversifiant les essences et les usages.
Une approche plus sobre est possible :
- Réduction de la demande en bois pour le chauffage, via l’isolation thermique performante des logements.
- Réemploi et recyclage du bois dans le secteur du bâtiment.
- Développement d’une construction bois durable, en évitant les matériaux importés non traçables ou issus de coupes illégales.
Chaque fois qu’on choisit un parquet certifié FSC ou PEFC, chaque fois qu’une commune construit sa médiathèque en bois local, c’est un pas vers une gestion durable des forêts. Loin d’être anecdotiques, ces choix s’additionnent pour transformer la demande… et donc la manière dont les forêts sont exploitées.
Quel rôle pour les citoyens et les collectivités ?
En tant que citoyens, nous avons un pouvoir d’agir à plusieurs niveaux :
- Consommer du bois responsable : Privilégier les labels FSC ou PEFC, mais aussi demander la traçabilité sur les produits en bois (mobilier, papier, granulés, etc.).
- Soutenir les forêts en accès libre : Certaines associations comme le Fonds pour l’Arbre ou les réseaux de forêts en libre évolution proposent des parrainages d’arbres ou de forêts afin de protéger du foncier forestier de toute exploitation intensive.
- S’impliquer localement : Beaucoup de forêts départementales ou régionales sont gérées par les collectivités. Participer aux consultations publiques, faire pression pour l’arrêt des coupes rases, proposer des alternatives : autant d’actions citoyennes à ne pas sous-estimer.
Les collectivités ont également un rôle clé à jouer. Elles peuvent intégrer des critères environnementaux stricts dans leurs achats publics, planifier des schémas forestiers participatifs et favoriser la création de forêts communales gérées durablement. La Commune d’Ungersheim en Alsace, par exemple, a fait le choix d’un aménagement forestier respectueux des cycles naturels, en favorisant l’inclusion des habitants dans les décisions.
Et maintenant ?
À l’heure de l’effondrement du vivant et du dérèglement climatique, gérer durablement nos forêts n’est plus un luxe, c’est une nécessité. Elles ne sont pas uniquement des stocks de bois, mais des systèmes vivants, complexes, interconnectés. Leur préservation est à la croisée de toutes nos urgences : climatique, sociale, sanitaire.
La « transition forestière » ne se décrète pas dans les bureaux bruxellois ou les commissions ministérielles : elle se construit sur le terrain, avec les forestiers, les élus, les habitants, et chacun d’entre nous. Une chose est sûre : la forêt n’attend pas. Et nous n’avons plus le luxe de temporiser.
L’enjeu, au fond, est assez simple à formuler, même s’il est difficile à mettre en œuvre : apprendre à cohabiter avec la forêt, et non l’exploiter comme une ressource inépuisable. La considérer non comme un stock, mais comme un commun. Un espace de vie, de régénération, et de respiration. Un bien précieux, à protéger autant qu’à partager.
